L'HYPOGEE DES DUNES
A POITIERS


I) GENERALITES

a) Localisation


          L’« hypogée des Dunes » ou « hypogée de Mellebaude » est situé au sud-est de la ville de Poitiers à environ 400 m du mur d’enceinte de la ville antique, de l’autre côté de la rivière  Clain, sur un des plateaux qui s’élèvent presque à pic sur le fleuve, dans la zone appelée « les Dunes » (Fig 1). Ce toponyme des « Dunes » n’a rien à voir avec le sens actuel du terme, il faut le comprendre d’après le mot celte dont il dérive, c’est à dire
dubes, qui signifie falaise, hauteur.
          Le monument se trouvait dans le voisinage de la voie romaine qui prolongeait le decumanus de la ville, et qui conduisait de Poitiers à Bourges par Argenton. Cette zone abritait une nécropole très étendue sur une surface de plusieurs centaines de mètres carrés, le long de la voie, et qui a fonctionnée durant l’époque romaine et l’antiquité tardive. L’hypogée se situait au lieu-dit « Chiron-Martyr », ou « Chiron du martyr », soit le champs des martyrs selon Heitz (Heitz, 1987), ou un amas de pierres en parler local selon Barral (Barral, 1996). Il se trouvait au milieu d’un ensemble de 37 sépultures qui lui semblaient liées.

Figure 1 : Situation de l’Hypogée au sein de la nécropole et au sein des inhumations qui lui sont liées.


b) Sources historiques

          Aucune source ne mentionne ce monument qui ne peut être identifié par ailleurs avec aucun des édifices attestés à Poitiers. Le nom même de l’abbé Mellebaude qui fit aménager la tombe, d’après les inscriptions retrouvées, est inconnu.

c) Historique des fouilles

          La découverte du cimetière fut faite en octobre 1878 par le commandant Rothmann, alors qu’il procédait au décapage du sol destiné au parc à fourrage militaire. Le Père Camille de La Croix, averti de la découverte, décida de fouiller une surface importante qui était la continuation de cette nécropole, depuis le lieu-dit « Pierre Levée » jusqu’au bord du plateau, mettant au jour, à une profondeur moyenne de 60 cm, 313 sépultures qu’il data de l’époque romaine et dont il donna la publication en 1883. Il fut en partie aidé par le commandant en chef du génie Rothmann.
          Le 3 janvier 1879, le Père de La Croix mit au jour l’hypogée au nord-ouest de la nécropole. Elle était dans un état de conservation exceptionnel. Les murs étaient encore recouverts de fresques éclatantes, et l’intérieur parsemé de débris de sculptures d’un grand intérêt.
Le terrain avoisinant le mausolée avait été acheté par le Père de La Croix qui remblaya le bâtiment pour le protéger. En 1909, les Monuments Historiques firent mettre une couverture à l’emplacement du mausolée qui fut à nouveau déblayé et organisèrent la présentation actuelle. Le terrain fut légué par le Père de La Croix à la Société des Antiquaires de l’Ouest qui l’aménagea en jardin et l’ouvrit au public. En 1945, le terrain a été cédé à la ville qui en assure l’entretien. En 1998, elle en a interdit l’accès afin de protéger le monument et en permettre une restauration, l’humidité et des sels abîmant les peintures.


II) DESCRIPTION ARCHITECTURALE

a) Plan d’ensemble

          Le monument, semi-enterré, est constitué de 3 parties principales orientées selon un axe est-ouest et sa largeur augmente depuis l’entrée jusqu’au chevet (Fig 2). On pénètre dans l’édifice par un escalier d’une dizaine de marches, légèrement oblique par rapport à l’axe du monument. L’intérieur de celui-ci présente une légère dénivellation, une marche surélevant légèrement la partie orientale. L’édifice mesure 4,80 m de profondeur et sa largeur varie de 4,50 m, pour la partie orientale, à 3,50 m pour l’occidentale. Il est élargit par deux arcosolia latéraux. L’édifice possédait une fenêtre au milieu du mur du chevet, qui suffisait pour éclairer l’intérieur avec la lumière qui pénétrait également par l’escalier. Quelques éléments retrouvés lors de fouilles permettent de restituer une couverture voûtée protégée par une charpente, comme le prouve la découverte de clous.

b) Techniques de construction

          Il est probable que, suivant la technique habituelle des constructions semi-enterrées, la voûte ait été construite sur un cintrage ménagé dans la terre et que le caveau ait été évidé après sa construction. En tous cas, les parois sont renforcées par un mur en moellons très mince de 20 cm d’épaisseur. Les assises de ce placage sont irrégulières et faites de moellons de dimensions variables, noyés dans du mortier léger. La voûte, épaisse d’environ 20 cm, avait été exécutée en moellons de pierre ponce dure, provenant de la carrière de Smarves près de Poitiers.

Figure 2 : Coupe longitudinale et plan de l’hypogée.

c) L’escalier d’accès

          Situé à l’ouest, l’escalier est légèrement désaxé et est formé de dix marches, il est divisé en deux volées de largeur inégale, la partie supérieure, longue de 3 m, étant nettement plus large (Fig 3). A la limite des deux volées, une colonnette et un pilastre à socle « septiforme » encadrent le retrécissement. La partie inférieure de la volée supérieure est bordée de banquettes. Quatre marches au total, dont trois visibles sont constituées de pierres sculptées en relief, dont certaines peuvent être des remplois, bien que l’usage de marches sculptées ne soit pas totalement inusité à l’époque. Les décors représentent un rinceau végétal bordé d’une torsade de part et d’autre, des poissons, une tresse à quatre brins dont les extrémités se terminent par des têtes de serpents (Fig 4). On a voulu voir dans les motifs des marches d’escalier, en particulier le dernier, une connotation barbare ou une intention symbolique.

Figure 4 : Les marches décorées de l’escalier



Figure 3 : Situation de l’escalier, des marches décorées et des banquettes.

d) La porte

Figure 5 : Au premier plan, une marche décorée. Au second plan, la porte d’entrée et ses linteaux. Au dernier plan, l’intérieur du caveau avec son autel et une marche décorée au centre, un sarcophage à droite, le « cippe aux deux crucifiés » à gauche.

Figure 6 : Paroi interne du chambranle droit et son inscription.


          La porte était abritée par un auvent. Les jambages sont formés de quatre pierres sculptées sur la tranche. Elles peuvent ne pas avoir été prévues pour cet emplacement, car certains motifs sont figurés à l’envers. Les montants étaient garnis, au nord de rosaces toutes d’un dessin différent et rehaussées d’incrustations selon Barral (Barral, 1996) ; au sud, d’un grand rinceau feuillu (Fig 5). Des remaniements ont été effectués dans la maçonnerie de part et d’autres de la porte. Le chambranle de droite est orné sur toute sa hauteur interne d’une inscription (Fig 6):

          « Au nom de Dieu, moi (sous-entendu j’écris ce qui suit). Ici (moi) Mellebaude, débiteur et serviteur de Jésus Christ, j’ai institué pour moi la crypte que voici, où git indignement ma sépulture. Je la fis au non du Seigneur Jésus Christ que j’ai aimé, en qui j’ai cru. Il est digne en vérité de confesser qu’il est le Dieu vivant, celui dont la gloire est grande là où règnent la paix, la foi et la charité. Il est Dieu et homme, et Dieu est en lui. Si quelqu’un n’aime pas ici adorer le Seigneur Jésus Christ et détruit cet édifice qu’il soit anathème – MARANATHA jusque dans l’éternité ! ». (Heitz, 1987)

          Selon Heitz (Heitz, 1987), l’imprécation de la fin a sa justification, car du vivant de Mellebaude, le tombeau aurait été saccagé, comme nous l’apprendrais l’inscription d’une seconde consécration peinte sur le mur de l’arcosolium abritant le tombeau de l’abbé. Quoiqu’il en soit, une mise en garde sévère est ici prononcée à l’encontre de tout vandale. Le mot Maranatha est une expression araméenne qui peut-être traduite par « le Seigneur vient » ou par « Notre-Seigneur, viens ». Elle n’est employée que deux fois dans le Nouveau testament :
     - à la fin de l’Apocalypse de saint Jean (Ap 22.20) dans l’attente de la Parousie.

     - dans la 1ère épître de saint Paul aux Corinthiens (1 Co 16.22), où elle fait suite à un anathème et peut donc plutôt se traduire par un avertissement : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème ! Maranatha ». C’est à ce sévère passage de saint Paul que semble faire référence l’inscription de Mellebaude. C’est lui cependant qui ajoute en latin, « usquid in sempiternum » = jusque dans l’éternité. A l’époque mérovingienne, cette formule d’anathème est fréquente, aussi bien dans les actes de certains conciles et dans des chartes que dans des bulles pontificales.
          Du linteau brisé subsiste la partie centrale inscrite autour d’une croix à six branches. Il comprenait une inscription dont le contenu se rapproche de celle qui figure devant le porche occidental de l’abbatiale du Plan de Saint-Gall et qui en gros signifie ceci : les gens arrivent tristes en ce lieu, mais en repartent réconfortés. Un fragment du linteau présentait l’inscription suivante : « La mémoire (memoria) de Mellebaudis abbé, débiteur du Christ, est ici. Les dévots viennent de toute part à Lui (le Christ) pour les offrandes, et ils reviennent annuellement » (Barral, 1996).
          En refermant la porte, le visiteur apercevait sur l’autre chambranle une simple croix entre deux points, puis il pouvait lire sur le seuil cette énigme :

GRAMA – GRUMO
ANAV AY CAX PIX

          Les references v, y, x, x renvoient aux lettres complémentaires à puiser dans les mots GRAMA et GRUMO, ce qui donne le résultat suivant : ANAGRAMMA AMA AGRUM CARUM PIO soit, « Anagramme : Respecte le champ qui est cher à l’homme pieux ». (Heitz, 1987)
          Sur les dormants de la porte se trouvaient deux autres inscriptions très effacées, qui furent relevées par le Père C. de La Croix.